mardi 18 janvier 2011

Une demande en mariage (1/3)





L'homme était vêtu d'un costume sombre, sans fantaisie. Il marchait d'un pas rapide sur le trottoir où une pluie fine commençait à tomber. Perdu dans ses pensées, il manqua de renverser une vieille dame qu'il remarqua à peine. Arrivé à destination, il s'arrêta devant une lourde porte. Après quelques hésitations, il pianota sur le digicode et dans un bruit qu'il trouvait toujours aussi désagréable, la porte se déverrouilla. L'ascenseur l'attendait déjà. Il appuya machinalement sur le bouton du quatrième étage et réalisa qu'il pleuvait seulement au moment où son regard croisa le miroir de l’ascenseur. Ses cheveux bruns, coupés cours, luisaient de l’eau de pluie qu’ils venaient de recevoir. Une coupe sérieuse pour un homme sérieux, pensa-t-il. Il avait conscience de l’image qu’il renvoyait ; celle d’un homme propre sur lui, bien sous tous rapports, mais un peu terne. Parfois, le dernier brin d’humour qui avait survécu à ses trente ans lui faisait se dire qu’il correspondait exactement à tous les clichés que les gens pouvaient avoir sur les employés de banque. Mais cela ne le dérangeait pas plus que cela, il ne cherchait plus, comme au cours de son adolescence, à être anticonformiste, à se démarquer à tout prix. À présent, il trouvait le conformisme rassurant, il se disait que c’était sans doute là une évolution naturelle. Cependant, ce genre de pensées se faisait en lui de plus en plus rare. 

Il avait toujours été grand et plutôt maigre, mais ce soir, il avait l’air encore plus longiligne que d’habitude, au point d'en sembler presque transparent. Il se trouva une mauvaise mine, mais il ne devait pas flancher, ce soir serait le grand soir, le soir de toutes les vérités. Il sonna à la porte. Il n’attendait pas qu’on vienne lui ouvrir, il avait déjà ses clés en main, mais il avait pris l’habitude de sonner à chaque fois qu’il arrivait afin, en quelque sorte, d’annoncer son entrée. "Cécile ?" Après deux nouveaux essais infructueux, il en conclut que l'appartement était vide. 

Dix-neuf heures. La date lui vint à l'esprit alors qu'il entrait dans les lieux et il comprit qu'il était en avance. Le mardi, elle ne rentrait jamais de son travail avant dix-neuf heures trente. Ces derniers temps, il accusait une distraction quasi permanente dont il n'avait pas coutume, à croire que les choses avaient subitement moins d’importance pour lui, excepté bien sûr, Cécile. Il fut contrarier de ce décalage dans ses plans. Il savait que s'il avait encore du temps, il se mettrait à réfléchir, à hésiter. Pourtant, tout à l'heure encore, en sortant de son travail à la banque, sa résolution était prise, ce serait ce soir. En quittant son bureau, il avait salué sa secrétaire comme à l'habitude, avec la même distance affable, pourtant il savait que le lendemain, il serait un autre homme. Sa vie professionnelle était déjà quelque chose dont il pouvait être fier, il était directeur adjoint d’une agence bancaire. Son zèle, sa politesse et son efficacité avaient fait de lui l’homme de confiance du directeur.