dimanche 12 décembre 2010

Une demande en mariage (2/3)

  Dix-neuf heures cinq. Il se servit un verre de whisky et s’assit dans l’un des fauteuils du salon sans allumer la lumière. Il n'en buvait jamais, mais il se dit que pour un moment si exceptionnel, il pouvait déroger à sa sobriété habituelle. Assis dans le salon, il se mit à penser à leur relation. Dans quelques jours, cela ferait quatre ans qu'ils se fréquentaient. Il en avait longtemps eu l'intuition, mais depuis peu il savait que c'était elle, il en avait l'intime conviction. Ce soir serait le grand soir. Il avait hésité à réserver une table dans le restaurant qu’ils aimaient, là où ils avaient dîné pour la première fois ensemble. Rien de luxueux, un petit bouchon sans prétentions. Il avait finalement rejeté l'idée, ne se sentant jamais très à l’aise en public. Pour ce soir, il préférait le décor rassurant de leur petit appartement. Il se disait que la simplicité n’avait jamais fait de mal à personne même pour un événement aussi important que celui-ci.
  Dix-neuf heures dix. Cécile, il avait appris à la connaître, à aimer les habitudes du quotidien qu'il lui avait découvert. Souvent, lui qui avait le sommeil léger, il la regardait, endormie à ses côtés. Il avait du mal à décrire la tendresse qui s'emparait soudain de lui lorsqu'il la contemplait dans ces moments-là, si belle, si fragile. Il aimait sa façon de se serrer contre lui quand ils allaient au cinéma et le fait qu'elle laisse échapper ses larmes dès que le film se mettait à jouer sur le registre des sentiments. Souvent, quand il rentrait le soir, avant qu'elle n'arrive, il trouvait de petits mots doux qu'elle avait laissé pour lui avant de partir, tel un jeu de piste.
  Dix-neuf heures quinze. À présent, il était euphorique, il sortit de la poche de sa veste une petite boîte de velours, il l'ouvrit pour regarder encore la bague qu'il avait acheté. L'anneau en or blanc et le diamant qui le surmontait. Il considéra un moment avec admiration l'éclat de la pierre. Il y avait passé une bonne partie de ses économies, mais il fallait une bague à la hauteur de son amour pour elle. Il était au comble de l'excitation. Il se savait à l'aube d'un événement, en soit si vite passé, et qui pourtant, par ses conséquences gigantesques allait tout bouleverser sur son passage. Que pouvait-elle bien faire ? Non, il ne fallait pas qu'il soit impatient, il savait qu'en se dépêchant, elle aurait pu déjà être là, mais elle aimait prendre son temps et s'il restait du travail, consciencieuse, elle ne le remettait jamais au lendemain.
  Dix-neuf heures vingt. Cécile. Ce qu'il pouvait l'aimer ! Mais elle ? Au fond, l'aimait-elle autant que lui l'aimait ? La question, comme un invité impromptu, venait de paraître dans son esprit. Depuis presque deux ans qu'ils vivaient ensemble, les preuves de son amour pour lui n'avaient pas manqué. Les choses s'étaient certes un peu calmées, mais il était heureux et elle aussi. Elle ? Au moins, elle en avait l'air. Cependant, il ne pouvait nier qu'elle passait de plus en plus de temps avec ses amies et qu'il était, de facto, exclu de ces rencontres "entre filles". Ces derniers temps, son travail l'avait absorbé de plus en plus, et leur intimité s'était vue réduite par ses horaires élargis et la fatigue qu'ils avaient entraînés. Il arrivait qu'il rentra le soir et qu'elle soit déjà couchée, ou alors de sorties avec ses amies. Non ! Il divaguait. Il y avait encore de nombreux soirs où elle l'attendait chez eux, devant la télévision ou lisant un livre. Ces soirs-là, il arrivait, elle le serrait dans ses bras et ils faisaient l'amour comme aux premiers jours. Ce n'était qu'un nuage noir qui passait dans son esprit.