mercredi 10 novembre 2010

une demande en mariage (3/3)

  Pourtant, ces deux derniers mois, ce genre de soirées s'étaient comptées sur les doigts d'une main. Sa meilleure amie étant de nouveau célibataire, pour la soutenir, Cécile sortait souvent avec elle et d'autres jeunes femmes. Il avait du mal à comprendre pourquoi il en était exclu. Cela le frustrait parfois. Il se demandait bien ce qu'elles pouvaient se dire ou faire au cours de ces soirées. Il ne la soupçonnait pas, mais il avait du mal à réfréner sa curiosité. Elle lui racontait toujours ses soirées, mais peut-être ne disait-elle pas tout. Peut-être revoyait-elle certaines personnes. Après tout, cela n'était pas à exclure. Il y a six mois, son ex-fiancé était revenu en ville, ils avaient dîné un soir tous les trois. Il travaillait pour la télévision, pour une émission courte tournée dans la région et qui avait connu un succès fulgurant sur une chaîne nationale. Il côtoyait des gens célèbres, gagnait beaucoup d'argent, il avait de la conversation et de l'humour. Tant de choses que, parfois, il doutait d'avoir. Il laissa son imagination sortir de sa cage. Cette pensée, l'imaginer, elle, avec lui, déclencha en son sein un sentiment d'affolement ainsi qu'une vive douleur que la simple imagination ne pouvait être seule à expliquer.
  Dix-neuf heures vingt-cinq. À présent, tous ses doutes s'étaient envolés, c'était la seule solution. Il fallait vraiment qu'il le fasse ce soir. C'était clairement le seul moyen pour qu'elle reste avec lui. Après tout, elle l'aimait. Le seul moyen de sceller leur union et de faire disparaître toutes ses craintes. Ils seraient unis l'un à l'autre à jamais, devant les hommes et devant Dieu. Tout était prêt.
  Dix-neuf heures trente… Dans le silence de l'appartement plongé dans le noir, il entendit le bruit de l'ascenseur qui se mettait en marche. Un instant plus tard, une clé fit jouer les verrous et la porte s'ouvrit.      "Chéri, tu es là ?" ; "Je suis là, mon amour."
  "Mais qu'est-ce que tu fais dans le noir ? Elle alluma une lampe. Il avait déjà quitté son fauteuil. Il apparut doucement dans l'entrée. La lumière lui fit mal aux yeux. Accoutumé, il s'approcha et la regarda. Elle avait les cheveux mouillés. Il la trouvait encore plus belle, emprunte d'une certaine fragilité. Elle avait froid et avait besoin de se changer. Il la désirait encore plus, de plus en plus. Quelque chose le retenait ; "Tu n'avais pas de parapluie ?"
  Elle lui sourit, un regard plein de complicité et d'amour réciproque. "Il s'est cassé. J'aurais pu prendre le metro, mais je voulais marcher. Tout va bien ?" ; "Oui. Je réfléchissais. Je t'aime." ; "Moi aussi." ; "Je t'aime plus que tout." Il l'embrassa en la serrant contre lui. Elle était toute chaude sous son manteau détrempé. Il lui passa les mains dans les cheveux.
  "Je t'aime Cécile, qu'est ce que je peux t'aimer." Ses yeux à elle étaient pleins d'amour et de confiance en lui. Alors qu'il répétait ces mots, ses mains glissèrent de ses cheveux pour se mettre autour de son cou. Elle sourit. "Tu as les mains froides". 
  Puis tout en répétant qu'il l'aimait il commença à resserrer ses mains autour de sa gorge, serrant de plus en plus fort. L'incompréhension et la peur passèrent dans les yeux de la jeune femme. Elle essaya de se débattre mais il était plus fort qu'elle. Il ne cessait de répéter qu'il l'aimait plus que tout et que rien ne pourrait les séparer. Après quelques instants de vains efforts, elle s'effondra, sans vie, dans l'entrée de l'appartement. 
  Il alla ensuite dans la salle-de-bains. Il mit le bouchon du lavabo et laissa couler l'eau chaude. Il sortit soigneusement de son étui le rasoir à main qu'il tenait de son grand-père et examina la lame brillante. Il remonta les manches de sa chemise précautionneusement, une à une et plongea son avant-bras gauche dans l'eau. D'un coup sec, il effectua une entaille profonde au niveau du poignet. Sa blessure lui permit tout de même de réitérer l'opération sur l'autre bras. Il regarda l'eau se teinter doucement de rouge et au bout d'une minute il commença à sentir ses forces l'abandonner ce qui l'obligea à s'asseoir sur le rebord de la baignoire pour maintenir ses mains dans l'eau. Il pensait à elle, encore quelques instants et ils seraient finalement réunis, sans personne pour se mettre en travers de leur amour. La tête lui tournait, il commençait à avoir froid. Après trois minutes à se vider de son sang, il perdit connaissance. Dans sa chute, sa tête heurta le rebord du lavabo. Il atterrit sur le linoléum de la salle de bains, recroquevillé sur lui-même, un large sourire dessiné sur ses lèvres.