samedi 9 octobre 2010

Vous ne savez pas qui je suis (3/3)

Le lendemain matin, il arriva à la gendarmerie à sept heures. Au vestiaire, le maréchal des logis Gaultier semblait l'attendre. Ils se saluèrent. Gaultier, qu'il n'avait vu que deux fois depuis son affectation lui avait semblé être un homme chaleureux et débonnaire. Il avait l'air aujourd'hui profondément troublé par quelque chose. Il s'exprima avec une légère tristesse dans la voix.
- Maurat ! Je vous attendais. Je… Je suis désolé, mais le colonel tient à vous voir tout de suite dans son bureau. C'est très urgent, allez-y immédiatement, ne prenez pas la peine de mettre votre uniforme.
Maurat, quelque peu intrigué, s'exécuta sur le champ. Il grimpa les deux étages qui le séparaient du bureau du colonel sans croiser aucun collègue. La porte était ouverte, il était assis derrière son bureau, deux gendarmes, habillés en civil, se tenaient dans un coin de la pièce. L'adjudant frappa doucement à la porte déjà ouverte afin de signifier sa présence au colonel.
- Ah! Maurat ! Entrez ! Entrez ! Asseyez-vous, je vous en prie.
L'adjudant entra en refermant la porte et s'assit sur un fauteuil en face de lui. Le colonel était un homme grand et sec d'apparence, il avait une cinquantaine d'année. Ses cheveux blancs coupés courts avaient fui le sommet de son crâne. Ses yeux bleu acier ne se fixaient sur aucun élément de la pièce aujourd'hui, et encore moins sur ceux de l'adjudant Maurat. Le colonel semblait agité, il se tortillait sur sa chaise, parlant d'une voix gênée. Il ouvrit une jolie petite boîte en bois sculpté qui contenait des cigarettes et l'approcha de Maurat d'un geste.
- Vous fumez Maurat ? Une cigarette ? L'adjudant fit non de la tête. Cela ne vous dérange pas si je fume ? Il réitéra son geste. Le colonel prit une cigarette qu'il porta à sa bouche et qu'il alluma. Il tira plusieurs bouffées convulsivement tout en s'adressant à Maurat :
- Tout ceci est sincèrement regrettable. Vous comprenez, Nous aurions dû vous prévenir, vous mettre au courant, mais qui aurait pu prévoir que cela arriverait maintenant, alors que vous venez à peine d'arriver ? Hein ? Vraiment, nous ne pouvions pas savoir.
Pourtant, je m'en veux, j'aurais dû vous avertir de cette règle. Lavrot aurait dû vous le dire, lui aussi. Enfin, il est jeune, et puis il vient de devenir papa, n'est-ce pas ? Alors, nous n'allons pas l'embêter avec cela.
Maurat commençait à comprendre, le colonel voulait sans nul doute le rappeler à l'ordre pour avoir laisser partir Lavrot la veille. Cela expliquait leur gêne. Il savait qu'il ne pouvait risquer grand chose pour cela, et puis, le colonel avait l'air désolé, il semblait vouloir s'excuser à chaque phrase. Lavrot avait dû en parler ce matin en arrivant, voilà pourquoi tout le monde était déjà au courant.
- Vraiment Maurat, vous m'avez mis dans une situation difficile… Vous avez tout l'air d'être un élément brillant, et vraiment, je puis vous assurer que j'ai fait le maximum pour plaider en votre faveur, mais c'est la règle. Je suis sincèrement désolé. Le colonel le regarda de manière paternelle :
- Mais qu’avez-vous fait mon jeune ami ? Vous comprenez, nous ne pouvons plus rien faire pour vous à présent, nous ne pouvons risquer de nous les mettre à dos. Nous ne pourrions tout simplement pas résister contre eux !
Maurat ne comprenait plus et commençait à devenir anxieux devant le ton du colonel. Etait-ce une blague pour les nouveaux venus ? Une sorte de bizutage ?
- Que voulez-vous dire mon colonel ? De qui parlez-vous ?
Le colonel fit un signe de tête aux deux gendarmes en civil qui attendaient dans un coin. Ils s'approchèrent rapidement de Maurat, le saisirent et lui passèrent les menottes sans qu'il ait eu le temps de réagir. Ils le maintenaient de leurs bras puissants sur sa chaise, l'adjudant ne pouvait plus bouger. Maurat, paniqué se mit à crier :
- Mais ! Vous êtes fous ! Arrêtez ! Qu'est-ce qui vous prends ! ? Pourquoi  vous faites…
Le colonel le coupa :
- Espèce de foutu salopard ! Dans quelle putain de situation vous nous avez mis ! Vous croyez que ça m'amuse de faire ce que je dois faire ! Moins je les côtoie, et mieux je me porte ! Et vous, même pas arrivé depuis trois jours, vous… Oh ! Vous croyez que ça me fait plaisir de faire ça ? Vous vous seriez plu pourtant ici Maurat, si vous n'aviez pas joué au con. On se faisait une joie de vous accueillir parmi nous ! Mais non ! Monsieur a dû jouer au plus malin. Ah ! Mon gaillard, je n'aimerais pas être à votre place à présent.
- Mais… Mais mon colonel… Je ne comprends pas…
Le téléphone sonna. Le colonel fit signe à l'adjudant de se taire et décrocha. Désemparé, l'adjudant se tut, le sens de la hiérarchie ne l'ayant pas encore quitté.
- Oui.
Maurat ne réussissait à entendre que le grésillement de la voix.
- Ah ! Il est arrivé ?
- Bien bien, nous l'attendons. Le colonel raccrocha et s'adressa à l'adjudant :
- Voilà Maurat. Tout sera bientôt terminé. Le colonel s'était calmé. Je suis sincèrement désolé. Je vous assure... Si je pouvais faire quoi que ce soit, croyez bien que… Je suis désolé que cela finisse comme ça. Croyez-moi. Mais nous ne pouvons simplement pas faire autrement, nous ne pouvons pas risquer de les contrarier.
Il marqua une pause et s'adressa aux deux gendarmes en civil :
- Bâillonnez-le, je ne veux pas qu'il fasse du scandale quand l'autre sera là.
Les deux hommes s'exécutèrent.
On frappa deux coups secs à la porte.
- Entrez ! Cria le colonel.
Un homme au crâne rasé vêtu d'un imperméable en cuir entra. C'était l'homme que l'adjudant avait arrêté la veille au soir. Maurat fut saisi d'effroi. Le colonel fit un grand sourire à l'homme et s'adressa à lui d'un ton étrangement affable :
- Monsieur ! Quel plaisir ! Nous sommes absolument désolés pour le désagrément que nous vous avons causé. Nous vous prions de bien vouloir nous pardonner. Ce genre de chose ne se reproduira plus, nous pouvons vous le garantir. Est-ce bien l'homme qui vous a importuné ?
L'homme regarda un instant l'adjudant.
- Oui, c'est bien lui.
- Ah ! Parfait ! Mes hommes vont vous l'emballer et vous le descendront jusqu'à votre voiture. J'espère que cela sera suffisant pour vous dédommager, cher Monsieur.
- Cela ira, pour cette fois.
Le colonel fit un nouveau signe aux deux hommes qui se tenaient derrière Maurat. L'un d'eux saisit une matraque et lui en asséna un coup sur la nuque. Maurat perdit connaissance. Les deux hommes entravèrent aussi ses chevilles et le mirent dans un sac de toile. Le colonel se précipita pour ouvrir la porte à l'homme.
- Au revoir, cher Monsieur, et bonne route !
- Je l'avais pourtant prévenu, dit-il doucement, presque pour lui-même.
L'homme sortit, suivi des deux autres qui portaient le corps de l'adjudant.
Le colonel demeura seul dans son bureau. Il retourna s'asseoir dans son fauteuil. Il sortit un mouchoir et s'en essuya le visage. Il ouvrit sa petite boîte en bois et prit une cigarette qu'il alluma. Il en tira deux longues bouffées qu'il recracha en observant à chaque fois la fumée se dissiper dans l'air.
- Foutu salopard!
Il considéra ainsi encore deux ou trois volutes.
- Pauvre type quand même…

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