samedi 16 octobre 2010

Vous ne savez pas qui je suis (2/3)


Après un léger temps, le conducteur apparut derrière le verre teinté qui s'abaissa dans un bruit électrique. L'adjudant inspecta rapidement l'intérieur du véhicule avec sa lampe. Le conducteur était bien seul. C'était un homme d'une vingtaine d'année au crâne rasé. Il était enveloppé d'une sorte d'imperméable en cuir peu épais. Ses mains, gantées de noir reposaient sur le volant. Il portait des lunettes à grosses montures noires et regardait droit devant lui, agissant comme s'il n'avait pas remarqué le gendarme.
- Bonsoir Monsieur. Savez-vous à quelle vitesse vous rouliez ?
"Bonsoir Monsieur" ? Il avait de plus en plus de mal avec ce formalisme verbal alors qu'il en aurait volontiers coller une à cet inconscient.
L'homme ne tourna pas plus le visage vers l'adjudant qu'il n'ouvrit la bouche. Maurat prit un ton plus ferme :
- Permis de conduire. Papiers du véhicule.
Après un léger temps, l'homme ouvrit doucement la boîte à gants sans mot dire, il en tira une pochette qu'il tendit à Maurat sans même le regarder. Il découvrit légèrement son avant-bras lorsqu'il s'exécuta laissant entrevoir un petit tatouage circulaire sous son poignet.
L'adjudant examina les papiers du véhicule et le permis de conduire de l'homme. Il s'appelait Julien Syrna, il était né à Chastel Nouvel et avait vingt-cinq ans. Sur la photo du permis de conduire, il avait l'air d'un gamin sérieux et renfermé, presque sinistre. Les papiers de la volksvagen étaient en règle.
- Sortez du véhicule, Monsieur.
L'homme ne bougea pas. Sans le regarder, il dit :
- Vous ne savez pas ce que vous faites.
L'adjudant commençait à s'échauffer :
- Je vous demande pardon ? Sortez du véhicule immédiatement !
L'homme tourna la tête et regarda subitement l'adjudant dans les yeux. Son visage était inexpressif et son regard froid réussit presque à le mettre mal à l'aise. L'homme sortit du véhicule et se tint debout devant sa portière ouverte. Il lui arrivait péniblement au menton. Maurat se trouva lui-même ridicule d'avoir été décontenancé par un tel nabot.
- Est ce que vous avez consommé de l'alcool ou autre substance stupéfiante ? Il savait, rien qu'à le voir que le type était net. L'homme le regardait dans les yeux sans piper mot, sûr de lui, il restait là sans rien dire.
L'adjudant sortit son alcootest.
- Monsieur, soufflez là-dedans s'il vous plaît. Il approcha l'appareil de l'homme qui souffla. Comme prévu, il n'avait rien bu. Maurat sortit son bloc de contraventions tout en expliquant la situation :
- Le test est négatif, mais vous n'allez pas échapper à l'amende. Vous rouliez à cent vingt-cinq kilomètres à l'heure alors que la vitesse sur cette route nationale est limitée à quatre-vingt-dix.
- Vous faites une erreur. Vous ne savez pas qui je suis, répondit l'homme sur un ton presque désolé.
Maurat savait que cela ne valait pas la peine de s'énerver pour ce genre de jeune abruti.
- L'erreur, Monsieur, c'est vous qui venez de la commettre, et vous feriez mieux de vous taire si vous ne voulez pas aggraver votre cas. L'adjudant émit cette menace en sachant qu'il ne pourrait pas faire grand chose. La procédure exigeait qu'ils soient au moins deux dans ce genre de situation. Il ne pouvait pas prendre le risque de le mettre en garde-à-vue et d'appeler une voiture pour que des collègues viennent le chercher. L'adjudant finit de rédiger le procès-verbal et le lui tendit. L'homme remonta dans son véhicule et ferma la portière. Il mit le contact. La fenêtre conducteur était toujours ouverte :
- Je vous aurais prévenu lâcha-t-il avant de démarrer et de disparaître sur la route.
L'adjudant resta un instant à considérer ce qui venait de se passer.
- Quel sale type pensa-t-il, encore un jeune con qui se prend pour Dieu le père. Il soupira en repensant à son ancienne vie dans le Nord. Le cri d'un hibou  dans les arbres derrière-lui le tira bien vite de sa rêverie. Son service était à présent terminé. Maurat enfourcha sa moto et reprit la direction de la gendarmerie. Il rangea sa moto au garage, alla se changer au vestiaire et ressortit en vêtements civils sur le coup des vingt-trois heures. Il avait hâte d'aller dormir, aussi, il marcha d'un pas pressé vers la chambre d'hôte dans laquelle il logeait depuis qu'il était arrivé.

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