mercredi 27 octobre 2010

Vous ne savez pas qui je suis (1/3)

A Mr Wall.

L'adjudant Jean Maurat avait pris son service à la gendarmerie de Chastel Montferrat depuis trois jours. Originaire du Nord, il n'avait jamais mis les pieds dans l'Allier avant cette nouvelle affectation. Grand et bien bâti, son large front et son nez cassé lui donnaient l'air d'un bélier. Terrien était un adjectif qui le qualifiait bien. Joueur de rugby amateur depuis son adolescence, c'était un sportif accompli et un motocycliste passionné. C'est donc naturellement qu'il choisit la brigade motorisée, "les aigles de la route" comme les collègues les surnomment. En ce mois d'octobre, il allait vers ses vingt-sept ans.
Ce dimanche soir, sur le coup des vingt-deux heures, le gendarme Denis Lavrot et lui s'étaient postés depuis un quart d'heure sur une transversale de la nationale 108, non loin de Morizon. Les automobilistes éméchés prenaient souvent cette route peu fréquentée, aussi n'était-il pas rare qu'ils finissent leur service en passant par là.
Ainsi arrêté sur le bas-côté, Lavrot avait retiré son casque et fumait une cigarette, jetant un coup d'œil nerveux de temps à autre à son téléphone portable.
- Tout va bien ? Vous avez l'air tendu demanda l'adjudant Maurat.
- Pardonnez-moi, c'est ma femme, elle vient de perdre les eaux, mon frère la conduit à l'hôpital… 
Maurat l'interrompit :
- Ça va Lavrot, allez retrouver votre femme. Notre service prend fin dans vingt minutes, un dimanche soir, je dois pouvoir survivre dans votre Lozère sans chaperon. Ne vous inquiétez pas, ils ne vous feront pas d'histoires.
Il hésita un instant :
- Merci mon adjudant.
Lavrot jeta sa cigarette, remit son casque et partit. L'adjudant Maurat soupira. Debout à côté de sa moto, il donna un coup de pieds dans un caillou. L'action lui manquait et il se demandait s'il parviendrait à se faire à cet endroit. Peut-être était-ce un peu préjuger après seulement trois jours. Il fut subitement tiré de sa rêverie par un bruit de moteur au loin. Il eut juste le temps de prendre ses jumelles. Le bruit se rapprochait puis vint la lueur des phares. Une Volksvagen Polo passa à une vitesse avoisinant les cent trente kilomètres à l'heure.
- Voilà un client ! Pensa Maurat tout en mettant son casque et en enfourchant sa moto. Il lança les gyrophares et démarra en trombe. La voiture roulait toujours à très vive allure sans se soucier des éventuels arrivants depuis les perpendiculaires. Au bout de trois kilomètres, il arriva à la hauteur de la voiture. Le conducteur du véhicule dut remarquer les gyrophares car il commença à rétrograder et finit par se ranger sur le bas-côté.
L'adjudant Maurat s'arrêta une dizaine de mètres derrière la volksvagen. Il mit la béquille et s'approcha prudemment du véhicule. Il regrettait subitement d'avoir renvoyé Lavrot, ils devaient toujours être deux dans ce genre de situation, mais il ne pouvait pas non plus laisser filer un client pareil. Le véhicule avait coupé le contact, mais ses phares, toujours allumés, éclairaient une rangée d'arbre vingt mètres plus loin. Maurat sortit sa lampe torche et en éclairait le véhicule à mesure qu'il s'en approchait. À ce qu'il pouvait en juger, la voiture ne contenait pas de passagers. La main sur son holster, il arriva au niveau de la portière conducteur et fit signe à son occupant de baisser la vitre.

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