jeudi 15 septembre 2011

Le chant des oiseaux (2/3)

   Le professeur la mit à l'aise. Mariani était un homme d'une cinquantaine d'années. Mince, il semblait être resté actif. Selon Maria, il n'avait pas vraiment l'air du savant fou que certains dépeignaient ; il ne portait pas de lunettes, ses cheveux  courts poivre et sel, son visage fin et ses vêtements décontractés (il portait un col roulé noir) lui donnaient l'impression d'être l'un de ces patrons d'entreprises informatiques, visionnaires, presque philosophes, n'ayant jamais entendu parler d'une cravate ou d'une chemise. Pourtant, son regard manquait de la lueur vive qu'elle avait pu voir sur les documents de l'époque de ses recherches.
Maria commença par le remercier de la recevoir.
   - Je vous en prie, Mademoiselle. J'ai toujours apprécié la rigueur et le sérieux de votre journal.
Elle voulait commencer par quelque chose de neutre afin de sonder le terrain et de mieux cerner son interlocuteur.
   - C'est une très belle maison que vous avez ici.
   - Je vous remercie. Elle est dans ma famille depuis des générations. Depuis que j'ai pris ma décision, c'est ici, dans ce havre de paix que je me suis retiré. Je n'en sors que le moins possible.
Il attirait la conversation sur le terrain de ce qui l'amenait ici et elle n'allait pas laisser passer cette occasion de satisfaire sa curiosité.
   - Avez-vous un laboratoire installé ici Professeur ? Poursuivez-vous des recherches d'une quelconque sorte ?
   - Non, vous ne trouverez aucun laboratoire ici. Vous savez, ma déclaration était peut-être laconique, mais j'ai bien peur que ma décision ne soit irrévocable.
   - À ce propos, vous devez avoir conscience, Professeur, que votre décision a stupéfié à peu près tout le monde.
   - J'imagine. L'incompréhension de mes contemporains est sans doute le prix à payer. Mais après ce que j'ai réalisé, reprendre mes recherches m'est apparu comme quelque chose de complètement vain.
   - Vous voulez dire après ce que vous avez accompli, vous avez eu le sentiment d'avoir atteint un sommet ?
   - Non, ce n'est pas ce que je voulais dire. Je voulais dire "après ce dont je me suis rendu compte".
   - Vous avez découvert quelque chose ?
   - Rien de plus que ce qui m'a valu le prix Nobel.
   - Pourriez-vous m'en dire davantage à ce sujet. Vous étiez spécialisé dans les oiseaux, n'est-ce pas ?
Mariani ne pu s'empêcher de sourire.
   - Je suis généticien chère Mademoiselle, ma spécialité, c'est le vivant. D'ailleurs, la plupart de mes collègues n'ont pas compris pourquoi j'ai choisi de travailler sur ces sujets.
   - Les oiseaux.
   - Un oiseau. Venez.
   Le professeur se leva et invita Maria à le suivre. Quelques mètres derrière eux, une cage posée sur une table d'acajou était recouverte d'un drap que le professeur souleva. Quatre oiseaux au plumage magnifique étaient assoupis. Maria ne put masquer son étonnement.
   - Mon dieu, ce sont vos… Créatures ?
   - Ce ne sont pas mes créatures. Je ne les ai pas inventés. Je n'ai fait que réparer, du mieux possible, une erreur commise par les hommes.
   - Ils sont absolument magnifiques. Je n'en ai jamais vu de si beaux.
   Le professeur Mariani ouvrit la cage et en prit un dans sa main. Le tenant délicatement, il caressa sa tête jusqu'à ce que l'oiseau s'éveille. Il invita Maria à faire de même. L'oiseau encore étourdi ne répondit que par un petit cri aigu, comme s'il demandait pourquoi on le tirait de son sommeil. Le professeur s'approcha du bord de sa terrasse et lança l'oiseau qui prit son envol au-dessus du lac.
   - Il revient toujours à sa cage.
   Le professeur invita Maria à se rasseoir dans le fauteuil près de lui.
   - Vous savez, ce sont des oiseaux de climat chaud, en été, ils peuvent s'aventurer hors de leur cage, mais sinon, ils ont besoin de beaucoup de chaleur. On surnommait parfois ces oiseaux, les oiseaux de paradis.
   - Je ne le savais pas.
   - Ce ne sont pas les seuls à avoir été surnommés ainsi, mais je pense que ce sont les seuls à l'avoir jamais mérité.
   - Pourquoi cela?
   Le regard du professeur se fit plus vague.
   - Vous savez, ces oiseaux représentaient un réel défi scientifique. J'aurais pu m'attaquer à une espèce disparue beaucoup plus simple.
   - C'est la prouesse qui vous a poussé à les choisir?
   - Non. La plupart des gens l'ont cru, et le pensent sûrement encore. Je n'ai jamais expliqué à personne pourquoi j'avais choisi l'oiseau de paradis. Vous me demandiez pourquoi on les avait surnommé ainsi, je vais vous le dire. Une vieille histoire raconte que le chant de ces oiseaux est la plus belle chose qu'aucun homme n'ait jamais entendu. Il en est fait mention dans les récits de quelques explorateurs, parmi les premiers européens à s'être aventurés dans cette zone de la forêt amazonienne. Les indiens vivant près de l'habitat de ces oiseaux pensaient que leur paradis en était peuplé et que ces oiseaux s'en était échappés d'une manière ou d'une autre.
   Voyez-vous, cette histoire m'avait beaucoup marqué dans ma jeunesse. Je ne pouvais retenir mes larmes à l'idée de cette beauté perdue à jamais, de ces oiseaux si magnifiques, que plus personnes ne pourrait jamais admirer, ni écouter. Juste après la soutenance de ma thèse de doctorat, afin de fêter l'événement, j'ai effectué un voyage au Brésil. Pendant deux mois, j'ai sillonné ce pays immense et magnifique. J'avais alors complètement oublié cette histoire. Un jour, je visitais un musée d'histoire naturelle et je suis tombé sur un spécimen naturalisé de cet oiseau. J'ai d'abord été frappé par sa beauté, les couleurs de son plumage, son air vif et majestueux. Je suis resté plus d'une demi-heure à l'observer dans cette salle de musée, me remémorant l'histoire qui m'avait tant marqué autrefois. Je suis ensuite retourné en Europe où j'ai poursuivi ma carrière universitaire. Depuis ce jour, cette histoire n'a jamais quitté mon esprit et je me suis alors renseigné de manière plus approfondie sur cet oiseau, son habitat, ce que les naturalistes avaient pu observer avant sa disparition. J'ai même réussi, avec la plus grande difficulté, à mettre la main sur une vieille bande magnétique, le seul enregistrement existant du chant de ces oiseaux. J'en ai tout de suite fait une copie numérique afin d'assurer la conservation de ce trésor inestimable. L'enregistrement était très mauvais et qui plus est, il ne durait pas plus d'une vingtaine de secondes, mais je vous jure que c'est la chose la plus magnifique que j'ai jamais entendu.
   Lorsque j'ai pris la tête d'un laboratoire de recherche et que la question s'est posée à moi, je n'ai pas hésité un instant. J'étais passionné, je me sentais investi d'une mission sacrée. J'avais la chance de pouvoir réparer cette injustice ; cette tristesse qui m'avait envahi étant jeune.

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